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Ostende, samedi 15 novembre 1958

La ville d'Ostende accueille les membres de la deuxième expédition belge en Antarctique. Le bourgmestre, Adolphe Van Glabbeke, reçoit les vingt-quatre participants et leurs familles à l'hôtel de ville, avant de les inviter à un repas au restaurant de l'hôtel Régent. Cette attention est d'autant plus appréciée qu'ils savent que pendant les seize mois qui vont suivre, ils n'auront certainement plus l'occasion de goûter une cuisine aussi raffinée.



Restaurant de l'hôtel Régent

De plus, c'est l'occasion pour ces hommes de faire plus ample connaissance car, si certains se sont déjà rencontrés au cours des épreuves de sélection, ils n'ont jamais vraiment été tous réunis.
Profitons-en pour les présenter.

Le chef de l'expédition, c'est François Bastin — que tout le monde appelle Frank —, il vient juste d'avoir 38 ans ; capitaine dans la Force aérienne, il est à la tête du Wing météo. Il est l'un des premiers à voir défendu l'idée de la participation de la Belgique à l'Année Géophysique internationale.  Il remplacera Gaston de Gerlache qui se trouve depuis un an à la base Roi Baudouin, au pôle sud. Frank Bastin est le responsable du groupe météo formé par deux sous-officiers de son Wing météo : Jos Van Baelen (33 ans) et André Vandenbosch (29 ans), qui remplaceront Georges Vandepoel et Michel Vanderdoodt.
Bastin a demandé au capitaine Jacques Maquet (31 ans) d'être son second. Ce dernier remplacera Xavier de Maere d'Aertrycke et se chargera de la topographie.
Deux autres collègues du Wing météo vont également le suivre : le capitaine Roger Schoonlau et sergent Serge Caussin.
Roger Schoonlau (37 ans) remplacera Jean Hoogewijs en qualité de radiotélégraphiste. Mais comme ils emmènent avec eux un nouvel appareil — un téléscripteur — qui devrait leur permettre d'être pratiquement 24 heurs sur 24 en contact avec l'extérieur, un second radiotélégraphiste est nécessaire : ce sera Gaston Remson (30 ans).
Quant à Serge Caussin (31 ans), il prendra la place d'Henri Vanderheyden comme mécanicien. Le second mécanicien de la première expédition, Charles Hulshagen, sera remplacé par Henri Swaab (20 ans, le cadet du groupe !), et l'électromécanicien Marcel Vandevelde laissera sa place à  Hubert Cools (28 ans) de la British Petroleum. Mais là aussi, l'équipe doit être renforcée car la première expédition ne disposait que de deux sno-cats (dont l'un est d'ailleurs tombé en panne dès les premiers jours). Bastin emporte dans ses bagages trois nouveaux sno-cats, portant ainsi leur nombre à quatre. Un nouvel électromécanicien viendra renforcer les effectifs : René Warnon (âge non connu).
Parmi les scientifiques qui devront continuer le travail de la première expédition, Arthur Kelekom (27 ans), ingénieur électronicien, continuera les observations d'Henri Vandevelde en physique ionosphérique.
Georges Verfaillie (qui aura 33 ans le 26 novembre), assistant chimiste en physique nucléaire, s'occupera du géomagnétisme à la place de Lucien Cabes.
Tony Van Autenboer (26 ans), géologue au service de l'armée, prendra la succession d'Edgard Picciotto en géologie et gravimétrie.
Et pour terminer, Jacques Giot, qui s'occupait de géodésie, sera remplacé par le Britannique Ken Blaiklock (31 ans); ajoutons à cela que Blaiklock, tout comme Giot, était spécialisé dans la conduite des chiens de traineaux.
Dans le programme scientifique mis au point par Frank Bastin, il y a des disciplines qui n'avaient pas été abordées par la première expédition :
- la séismique, dont s'occupera le français Georges Dierterlé (37 ans) ;
- le rayonnement solaire, domaine confié à l'ingénieur électronicien André Van der Schueren (23 ans), il effectuera également des mesures d'ozone et d’électricité atmosphérique ;
- la glaciologie et la microbiologie, attribuées à Yvan Van De Can (33 ans) ;
- la radioactivité ; ce sont deux techniciens en électronique du Centre nucléaire de Mol qui s'en chargeront : Roger Ketelers (30 ans) et  Pierre Suetens (28 ans).

Dans le domaine de la radioactivité, signalons encore la présence à Ostende de deux spécialistes en la matière : Paul Kipfer, professeur à l'Université Libre de Bruxelles, et René Boulanger, du Laboratoire de Recherche nucléaire (CEN) de Mol. Mais ils ne feront qu'accompagner les 22 autres membres jusqu'à la Base Roi Baudouin et reviendront en Belgique dès le mois de février 1959 à bord du Polarhav.

Il nous faut encore citer trois personnes qui ne sont ni des techniciens, ni des scientifiques mais dont la présence est cependant indispensable :
- Maurice Staquet (28 ans), médecin et physiologiste, qui remplacera Thierry Van  Gompel ;
- Frans Dircken (38 ans, le doyen de l'expédition), prêtre, cuisinier, etc. qui prendra la place de Guy della Faille ;
- Ludo Dillen (25 ans), cinéaste et photographe, successeur de Raymond Carels.

Ces hommes, dont nous venons de faire plus ample connaissance (voir aussi la page "Les membres de l'expédition"), sont ce qu'il y a de mieux dans leurs domaines respectifs. Il faut savoir qu'il y avait eu plus de mille cinq-cents candidats et que c'est à l'issue de multiples épreuves de sélection qu'ils ont été retenus.
Un des premiers critères est la santé physique. A l'époque, il n'aurait pas été possible d'évacuer par les airs un participant qui aurait été malade : aucun avion capable d'atterrir sur la glace n'aurait pu faire un aller-retour au pôle sud. Et pendant l'hiver polaire, aucun bateau n'aurait su franchir la banquise pour s'approcher de la base. Il fallait donc réduire au maximum le risque de maladie en ne laissant partir que des individus en excellente condition physique.
Deuxième critère : la compétence. Donnons l'exemple d'une épreuve à laquelle Gaston Remson a dû se soumettre. Convoqué aux ACEC de Charleroi, on lui demande de démonter complètement un poste émetteur, puis de le remonter... Mais, nous rapporte son petit-fils dans son travail de fin d'études intitulé L'Antarctique (évidemment !), quand tout est remonté, il lui reste deux pièces en main. Panique. Mais quand il tourne le commutateur, le poste fonctionne... ouf !
Dernier critère, et non des moindres : avoir un moral d'acier. Supporter des températures pouvant descendre jusqu'à 50 degrés centigrades sous zéro, vivre dans un espace exigu à 22 pendant des mois, et surtout ne pas voir le soleil pendant plusieurs semaines sera-t-il supporté par ces hommes ? Comment évaluer la résistance à ce type de situation ? Laissons la parole à André Van der Schueren : « Les préparatifs ont été longs. Six mois de conditionnement, de tests physiques et psychologiques dans des caissons à moins 20 degrés, des salles d'isolement sans lumière pour tenter d'apprivoiser à distance les "grands froids" et cette nuit polaire redoutée de tous ». (interview accordé à Thierry Mortenat, journaliste à La Tribune de Genève, en 2009).
On pourrait croire que les hommes mariés auraient plus de mal que les autres à supporter la séparation. Pourtant, quand il est interviewé par son petit-fils Henri, Gaston de Gerlache déclare : « Je crois que, parmi mes hommes, ceux qui étaient mariés avaient le caractère le plus stable. ... Mais ceux qui avaient une famille pesaient mieux leur décision de s'éloigner pendant deux ans que ceux qui n'avaient pas de famille ». (L'Antarctique en héritage, par Henri de Gerlache, Primento, 2014). Il n'y a pas de raison pour que les hommes de la seconde expédition aient été d'une autre trempe !

L'après-midi de ce 15 novembre, ce fut l'embarquement sur le Polarhav et le moment des séparations.

Roger Ketelers et sa famille sur le quai d'Ostende - © R. Ketelers

Dans les pages précédentes, nous avons indiqué que les journaux tant nationaux que régionaux avaient annoncé le départ de l'expédition avec plus ou moins de fantaisie.
Expliquons-nous sur les raisons de cette restriction.
Reprenons par exemple l'en-tête du journal annonçant le départ pour le lendemain.



Le journal étant paru le 14 novembre, cela donne à penser que le départ a lieu le 15. Or, ce n'est pas le cas : le Polarhav a en fait quitté le port d'Ostende le dimanche 16 novembre 1958 à 20 heures 15 très précisément, comme nous l'apprend le journal de Frans Dircken.
" Une équipe de 22 hommes (...) dont 10 Wallons 10 Flamands ". Encore faux puisqu'il y avait en réalité 7 néerlandophones et 13 francophones.
" 10 militaires " En fait, 6 !
Quant aux 10 mariés totalisant 10 enfants, nous n'avons pas eu les informations concernant les compositions des familles permettant d'accréditer ou de réfuter cette déclaration.
Mais ces détails "arithmétiques"ont-ils vraiment de l'importance ?


Départ du Polarhav le 12 novembre 1957
© coll. de l'auteur


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